État-nation, vraiment ?

« Il n’y a pas eu d’âge de l’État-nation dans l’histoire : à l’exception de la Finlande, l’empire s’acheva généralement tandis que commençait l’intégration, sans intervalle. Dans les cas incontournables de l’Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, des Pays-Bas, de l’Espagne et du Portugal, entre l’empire et l’intégration, la nation ne connut pas de moment où elle aurait été souveraine et où l’État se serait épanoui isolément. Certes, les citoyens de ces pays croient spontanément qu’ils ont une histoire en tant qu’État-nation ; mais après un temps de réflexion, ils se rendent compte que ce n’est pas exact. Comme l’enseignement de l’histoire en Europe est national, cette réflexion ne se produit pas habituellement. Manquant de formation sérieuse sur leur passé impérial et de connaissances comparatives qui leur auraient permis d’identifier des modèles, les Européens se sont contentés d’un mensonge. La fable de la nation sage, apprise dans l’enfance, rassurait les adultes en leur permettant d’oublier les vraies difficultés historiques. En reprenant cette fable, les dirigeants et les sociétés pouvaient se féliciter d’avoir choisi l’Europe, alors qu’en fait celle-ci était un besoin existentiel après l’empire. »

« Les crises postérieures aux Première et Seconde Guerres mondiales, lorsque l’État-nation s’est avéré intenable, ont été réinterprétées comme des moments uniques de victimisation nationale. Les jeunes d’Europe de l’Est n’ont pas appris à réfléchir aux raisons de la faillite étatique des années 1930 ou 1940. Ne se voyant qu’en victimes innocentes des Empires allemand et soviétique, ils célébrèrent le bref épisode que connurent les États-nations à l’Est dans l’entre-deux-guerres. Ils oublièrent que ces États étaient condamnés autant par malveillance que par leur structure : sans ordre européen, ils ne pouvaient guère survivre. L’UE n’a jamais cherché à établir un enseignement historique commun aux Européens, si bien que la fable de la nation sage rendait apparemment possible l’idée que les États-nations qui avaient choisi d’entrer dans l’Union pouvaient aussi choisir d’en sortir. Un retour à un passé rêvé pouvait même paraître envisageable, voire désirable. »

« Si l’Union européenne se désintègre, elle risque fort d’entraîner la désintégration des États qui la constituent »

Snyder, Timothy. La route pour la servitude

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