Pro memoria et dolore

Quelques-unes des principales différences entre le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) et le traité sur l’Union européenne (TUE) signé à Maastricht en 1992 puis modifié à plusieurs reprises jusqu’au traité de Lisbonne de 2009.

Structure institutionnelle:

  • TCE: Le TCE proposait une structure institutionnelle plus fédérale, avec un président de l’Europe élu directement et un Parlement européen bicaméral. Il aurait également créé un nouveau Conseil européen de direction et un ministre des Affaires étrangères de l’UE.
  • TUE: Le TUE conserve en grande partie la structure institutionnelle existante de l’UE, avec un Conseil européen et un Conseil de l’UE qui partagent le pouvoir exécutif, et un président de la Commission européenne nommé par le Conseil européen.

Compétences de l’UE:

  • TCE: Le TCE aurait étendu les compétences de l’UE à de nouveaux domaines tels que la politique étrangère, la défense et la sécurité commune.
  • TUE: Le TUE élargit modérément les compétences de l’UE, mais reste plus prudent que le TCE en ce qui concerne l’extension des pouvoirs de l’UE.

Symboles de l’UE:

  • TCE: Le TCE aurait introduit un drapeau et un hymne européens uniques, ainsi qu’une devise commune (« Unie dans la diversité »).
  • TUE: Le TUE ne modifie pas les symboles existants de l’UE.

Droits fondamentaux:

  • TCE: Le TCE aurait inclus une charte des droits fondamentaux contraignante pour tous les États membres.
  • TUE: Le TUE intègre la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui était déjà juridiquement contraignante depuis 2007, dans le traité lui-même.

Processus de modification:

  • TCE: Le TCE aurait simplifié le processus de modification du traité, le rendant plus flexible et adaptable.
  • TUE: Le TUE maintient les procédures de modification des traités existantes, qui sont plus complexes et nécessitent l’unanimité des États membres.

L’Europe fédérale, chiche ?

Daniel Cohn-Bendit & Sylvie Goulard

« Plutôt que de précipiter l’adhésion de nouveaux pays au sein de l’UE, il faut remettre à plat le projet européen et opter pour le fédéralisme, qui allie contrôle démocratique et efficacité dans l’action collective».

En décembre 2023, les dirigeants européens ont décidé d’ouvrir des négociations d’adhésion à l’Union européenne (UE) avec l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie, qui rejoignent ainsi les pays des Balkans qui n’en sont pas encore membres – l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie.

Il est juste d’offrir une perspective à des pays brutalement agressés ou menacés et il est dans notre intérêt d’étendre à notre entourage les bienfaits de nos valeurs et d’une certaine stabilité. Mais les promesses généreuses ne suffisent pas. Comment éviter la dilution de l’UE dans un grand tout hétérogène et ingérable ? Des promesses ont été faites sans qu’aucun plan d’ensemble, aucune feuille de route n’aient été adoptés.

La France et l’Allemagne ne partagent pas la même vision, mais les deux pays conservent une responsabilité singulière au nom de l’histoire et, plus prosaïquement, en raison du pouvoir destructeur de leurs querelles. A condition d’être aplanies, leurs divergences les rendent complémentaires. Troupes au sol si nécessaire en Ukraine ou pas de guerre à la légère : nous avons besoin des deux approches. Le franco-allemand, ce sont les « checks and balances » [nom du système d’équilibre des pouvoirs aux Etats-Unis] de l’Europe.

Sur quoi faudrait-il se mettre au travail ? Sur la nature de l’UE. Il n’est pas raisonnable d’étirer encore la Communauté européenne fondée pour six États dans les années 1950 et encore moins de compter sur des institutions originales, mal comprises, pour ériger un rempart face à des puissances agressives. Si personne ne veut que l’UE se dote des prérogatives étatiques, cessons de la comparer sans cesse aux États les plus puissants du monde et cessons d’envier leur force, leur réactivité. A moins que l’évidence finisse par s’imposer : l’UE n’est pas équipée pour ce qu’on lui demande de faire.

Remise à plat

Ce qui serait nécessaire, mais que les gouvernements n’osent pas envisager, c’est l’Europe fédérale. Face aux menaces russes et au risque d’isolationnisme américain, il n’est plus l’heure de se raconter des histoires : pas de puissance politique sans finances solides (contrairement à ce qu’on aime croire en France) ; pas de puissance économique sans responsabilité de sécurité contrairement à ce que les Allemands ont longtemps espéré).

Sans parler de la nécessité de démocratiser en profondeur les processus de décision : pas d’Europe démocratique sans aval des citoyens, sans responsabilité, ni sentiment d’appartenance à un tout qui justifie le partage de souveraineté.

Le sentiment européen perd du terrain. A droite comme à gauche, les extrêmes progressent, portés par la tentation nationaliste et protectionniste. Quant aux partis traditionnels, ils sont gagnés, eux aussi, par la tentation de taper sur la bureaucratie, de trahir l’État de droit et d’oublier le marché unique. Loin de prendre des risques pour l’UE, ils se retirent dans leur coquille. La Commission est ravalée au rang de secrétariat des capitales. Quant à la campagne pour les élections européennes, elle est moins centrée sur l’Europe que sur les nombrils de chacun. Nous voilà bien partis pour jouer vingt-sept matchs nationaux séparés.

Pour être gagnant, ce projet appelle en réalité une remise à plat de l’UE, de ses politiques, de son budget, de ses règles de droit. C’est pourquoi nous aurions envie de dire : « Chiche, l’Europe fédérale ! » Trente ans après son lancement à Maastricht, « la politique étrangère et de sécurité commune » reste embryonnaire, pour ne pas dire inexistante. Faire de l’UE un acteur « géopolitique », comme on nous le promet, ne sera pas une mince affaire, surtout si nous ne changeons pas notre « fabrique » de la décision.

L’urgence est déjà là : l’unanimité empêche que l’UE ait une influence sur le drame terrible qui se joue sous nos yeux à Gaza, après l’abominable attaque du Hamas, le 7 octobre 2023. Pour avoir vu fonctionner le Conseil européen pendant la crise financière, nous ne croyons pas que cet organe puisse durablement diriger l’UE. Il a déjà dépassé ses missions. Intermittents du spectacle européen, les dirigeants nationaux arrivent à Bruxelles avec leur agenda national, leurs visions cloisonnées, leurs conférences de presse séparées. Quand nous avons fait l’euro, nous avons fait l’euro, nous n’avons pas vendu un panier de monnaies pour une union monétaire.

L’Europe au rabais

Combien coûterait l’effort de défense envisagé ? Avec quel impact sur les dépenses civiles ? Un budget adopté de manière transparente, par le Parlement, mettant fin aux marchandages opaques entre Etats, serait un minimum pour une UE qui affiche de telles ambitions. Inefficaces à vingt-sept, les négociations entre Etats seraient suicidaires à trente-cinq ou à trente-six. Et que dire des inégalités fiscales que dissimule la solidarité du plan NextGenerationEU. Peut-on continuer à s’endetter en commun pour transférer des fonds entre des pays dont les règles fiscales ne sont pas harmonisées, et dont certains ne font rien pour réduire leur dette au niveau national ? Sans rigueur, l’entreprise ne serait qu’une fuite en avant.

Des arbitrages seront nécessaires, dans lesquels il est impératif de continuer à mettre en œuvre et approfondir le Green Deal, cet ensemble de politiques ambitieuses en faveur du climat et de l’environnement. Les scientifiques sont clairs : il y a urgence. La politique agricole, premier poste de dépenses de l’UE depuis des décennies, se perpétuerait-elle ? L’entrée de l’Ukraine dans l’UE renforcerait certes le potentiel agricole et alimentaire de l’Europe mais personne ne parle du coût, ni du modèle agricole. Ce dernier doit-il être durable, respectueux de la santé des agriculteurs européens et des marchés des pays du Sud, ou doit-il être productiviste, intensif et intenable pour la santé humaine et la planète ?

Pour faciliter l’élargissement, la Commission pense avoir trouvé la martingale : l’intégration par étapes. Ce démontage est à l’opposé de la position que l’UE a défendue dans le Brexit. C’est un leurre, une Europe au rabais, alors que la valeur de l’adhésion tient à la participation à des institutions comme le Parlement (qui fait les règles) et la Cour de justice (qui les fait respecter). Derrière les slogans d’Europe puissance, c’est le bon vieil ersatz de l’Europe marché qui revient, drapé des plumes du paon. Donner des droits sans les devoirs n’aboutirait en définitive qu’à la confusion et au détricotage.

Pourquoi défendons-nous une Europe fédérale, qu’on l’appelle « Etats-Unis d’Europe » ou autrement ? Ce n’est ni une rêverie ni une nostalgie. C’est du bon sens ; le fédéralisme est un outil qui, au contraire des préjugés, offre un meilleur contrôle démocratique et plus d’efficacité dans l’action collective. Il respecte plus les prérogatives des États qui composent la fédération que l’UE actuelle, laissée au bon vouloir des gouvernements nationaux. »

Daniel Cohn-Bendit est un ancien député européen (1994-2014). Il a notamment siégé au sein du groupe Les Verts-Alliance libre européenne

Sylvie Goulard est une ancienne députée européenne (2009-2017). Elle a siégé au sein du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ancienne ministre des Armées (mai-juin 2017).

Le Monde, 11 avril 2024

Au XXIᵉ siècle, notre souveraineté sera européenne ou ne sera pas

« Alors apparut une certaine vision de la défense européenne, assortie de projets concrets. « Cette armée européenne ne doit pas simplement aligner des unités militaires nationales, déclarait un premier ministre français, cela ne ferait que masquer une coalition à l’ancienne. Une armée européenne unie, composée des forces des différentes nations européennes, doit, dans la mesure du possible, regrouper toutes ses composantes humaines et matérielles sous une seule autorité politique et militaire européenne. »

Ce n’était pas une chimère. Le traité qui sous-tendait cette vision expliquait en détail comment les institutions communes fonctionneraient, comment les budgets communs seraient financés, comment les forces militaires communes seraient rendues opérationnelles, jusqu’à préciser le nombre d’unités et de soldats, leurs insignes et leurs uniformes. Le protocole à ajouter au traité de l’Atlantique Nord fut même envoyé au Sénat américain, lequel l’approuva. Une armée européenne était donc possible. Plus que possible, nécessaire. « Les événements mondiaux ne nous laissent pas le choix », déclarait ce chef de gouvernement.

Mais, subitement, la menace russe a semblé s’estomper et tout a été abandonné. Nous étions en 1954. Le premier ministre, que l’on appelait à l’époque président du conseil des ministres, s’appelait René Pleven (1901-1993). Le facteur qui a enrayé la Communauté européenne de défense (CED) a été la mort de Staline, le 5 mars 1953, et les vains espoirs d’une Russie plus pacifique. L’élan alors donné à l’Europe pour assurer sa propre sécurité s’est évaporé.

Structures de défense cloisonnées

Aujourd’hui, Staline est de retour. Moscou écrase la dissidence, envahit ses voisins et rêve d’écrire l’histoire par la force brutale. Les parallèles entre Poutine et Staline ont été abondamment établis. Nous sommes à nouveau dans une guerre froide, qui menace de s’intensifier à tout moment.

La seule chose qui manque pour compléter le tableau, c’est que l’Europe en tire les conséquences. Tout au plus parle-t-on d’une augmentation des dépenses militaires et de l’intégration européenne des industries nationales de défense. Pis, on feint de croire que la création d’un commissaire européen à la défense devrait suffire à résoudre tous les problèmes. Si le Kremlin semble renouer avec les années 1950, le Berlaymont [bâtiment où siège la Commission européenne, à Bruxelles] se croit toujours dans les années 1990.

Parlons plutôt des dures réalités du XXIe siècle. Nous, Européens, dépensons déjà ensemble trois fois plus que la Russie, sans améliorer pour autant nos capacités communes de défense. Du point de vue du rapport qualité-prix, nous sommes quatre fois moins efficaces que les Etats-Unis. Nous le savions déjà lors des opérations bâclées en Libye en 2011. L’Europe avait prétendu diriger les opérations, mais s’était retrouvée bientôt contrainte de demander aux Américains de prendre le relais, faute de capacités opérationnelles. Et cette impuissance s’est répétée depuis lors en Syrie, en Afrique, en Ukraine. Pourtant, nous ne parvenons toujours pas à en tirer les leçons.

Certes, nous avons utilisé et élargi la Facilité européenne pour la paix, et c’est une bonne chose. Mais l’accumulation de dépenses ne fait pas une politique de défense. Que nous livrions à l’Ukraine des armes et des munitions américaines ou européennes ne modifie pas fondamentalement le fonctionnement de nos armées. Nos structures de défense demeurent étroitement cloisonnées. Trop dissemblables pour que l’Ukraine puisse réellement en profiter sur le terrain.

En prime, le parapluie américain paraît de moins en moins fiable. Donald Trump ne nous a-t-il pas récemment avertis que « les États-Unis devraient payer leur juste part, pas celle de tous les autres », et ajouté qu’il existe « un joli, grand, magnifique océan » entre l’Europe et les Amériques ?

Pensée anachronique et dangereuse

Pour une fois, je suis d’accord avec lui : il est temps pour l’Europe de grandir, d’arrêter de penser que l’ordre mondial est immuable et de comprendre, au contraire, que, désormais, nous devrons assumer la responsabilité de notre propre sécurité. Avec nos alliés et partenaires, si c’est possible. Sinon sans eux. Au XXIe siècle, notre souveraineté sera européenne ou ne sera pas.

La myopie en matière de sécurité dans le quartier européen bruxellois est atterrante. Cela fait déjà deux ans que Poutine est à l’offensive, et nous sommes toujours à la traîne, non seulement pour soutenir militairement l’Ukraine, mais pour nous atteler à changer le logiciel de l’Union européenne (UE).

La réforme promise de nos institutions est dans l’impasse, au prix de notre crédibilité internationale et au risque de notre impotence géostratégique. Le financement de notre effort de guerre par le biais d’euro-obligations reste un tabou, faisant ainsi dépendre notre solidarité avec l’Ukraine de budgets nationaux exsangues et exposant nos opinions publiques au « populisme de paix » propagé par Moscou.

Malgré tous les grands discours, les projets d’une véritable union de la défense sont dans les limbes, à Bruxelles comme dans les capitales nationales. La défense reste conçue comme une partie indissociable et intouchable de la souveraineté nationale. C’est une pensée anachronique et dangereuse.

Poutine mène une guerre contre nos voisins et alliés, il aide et encourage nos ennemis intérieurs, il cible notre sécurité et la démocratie libérale et toutes les valeurs défendues par l’UE. Mais plutôt que de se référer à René Pleven pour préparer notre défense, nos dirigeants préfèrent s’en remettre à l’adage d’un autre président du conseil de la IVe République, Henri Queuille (1884-1970) : « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre. »

Plutôt que d’attendre la mort de Poutine en espérant un miracle pour sa succession, apparemment encore lointaine, l’heure n’est-elle pas venue d’un sursaut de lucidité et de courage ? »

Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge (1999-2008), est député européen (Renew Europe).

Le Monde, 11 avril 2024

Du manifeste de Ventotene à l’association Femmes pour l’Europe

« Militants antifascistes et pionniers du fédéralisme européen, Altiero Spinelli et Ursula Hirschmann ont marqué l’histoire de la construction européenne et de ses institutions. Du « Manifeste de Ventotene » à l’association « Femmes pour l’Europe », ils ont porté l’idée d’une Europe unie et démocratique.

1941, île de Ventotene au large de Naples. Dans ce centre de détention sont confinés plusieurs centaines d’opposants au fascisme. Altiero Spinelli est l’un d’eux. Cela fait quatorze ans que le jeune militant communiste est privé de liberté à cause de son engagement dans la résistance. Parmi les détenus, il y a aussi Ernesto Rossi, puis Eugenio Colorni. Les trois militants, nourris de littérature sur l’histoire des États-Unis et de sa Constitution, vont rédiger un texte fondateur pour les idées européennes : le « Manifeste pour une Europe libre et unie » aussi appelé « Manifeste de Ventotene ». Pour les auteurs, l’État-nation est à l’origine de la montée des totalitarismes et des guerres en Europe. Ils proposent la construction d’une Europe fédérale dotée d’une Constitution : les États-Unis d’Europe.

Ursula Hirschmann, militante allemande opposante au nazisme et au fascisme, femme d’Eugenio Colorni, va jouer un rôle fondamental dans la diffusion du manifeste en Europe. Elle épouse Altiero Spinelli quelques années plus tard et participe avec lui à la diffusion des idées fédéralistes européennes : à travers la création du Movimento Federalista Europeo, le Mouvement fédéraliste européen, en 1943 et l’organisation du premier congrès fédéraliste international à Paris en 1945.

Au début des années 1950, Altiero Spinelli joue un rôle majeur dans le projet de Communauté européenne de défense (CED). Il souligne la nécessité qu’elle s’accompagne d’une Communauté politique européenne afin de garantir un contrôle démocratique. L’Assemblée constituante européenne rêvée par Altiero Spinelli ne voit pourtant pas le jour, alors que l’Assemblée nationale française refuse en 1954 de ratifier le projet. Malgré de nombreuses déceptions, l’homme politique s’engage de nouveau en 1970 dans les institutions européennes comme commissaire européen, puis en 1976 comme députée européen.

Ursula Hirschmann de son côté s’engage dans la lutte féministe. En 1975, elle crée l’association « Femmes pour l’Europe » afin que la défense des droits des femmes devienne aussi une préoccupation de la Communauté européenne. À la fin de sa vie, Altiero Spinelli réussit à faire voter par le Parlement européen son projet de Traité d’Union européenne qui propose une refonte institutionnelle majeure pour renforcer les pouvoirs du Parlement européen. Si c’est finalement l’Acte Unique qui a été mis en œuvre, le projet d’Altiero Spinelli a inspiré le traité de Maastricht et celui de Lisbonne.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/ursula-hirschmann-et-altiero-spinelli-penser-le-federalisme-europeen-2657073

Avec

Andrew Glencross Directeur de l’École Européenne de Sciences Politiques et Sociales, et professeur en science politique à l’Institut Catholique de Lille

Araceli Turmo Maîtresse de conférences en droit à Nantes Université, spécialisée en droit de l’Union européenne »

                **************************

Non à la CED

« Alors que 4 des 6 pays ratifient la CED entre mars 1953, pour la RFA, et avril 1954 au Luxembourg, la querelle entre cédistes et anticédistes s’amplifie en France, à tel point que l’Italie suspend sa ratification, en attendant le résultat de la ratification française. Face à la pression populaire, les majorités cédistes qui font les gouvernements étaient de plus en plus fragiles. En décembre 1952, le MRP renverse même le gouvernement Pinay, qui retarde la ratification du traité. Pour les deux présidents du Conseil qui suivent, René Mayer et Joseph Laniel, « oublier » la ratification du traité semblait être leur seule garantie de survie. René Mayer est d’ailleurs renversé, par les gaullistes, parce qu’il pense ouvrir le débat sur la ratification. La Quatrième République est paralysée par ce débat, qu’aucun chef de gouvernement ne semble pouvoir affronter. Pierre Mendès France, président du Conseil à partir du 18 juin 1954, essaye en vain, lors de la conférence de Bruxelles (19 au 22 août 1954), de négocier un nouveau protocole modificatif du traité de la CED. Les autres États, notamment ceux qui ont déjà ratifié le traité, refusent cette proposition française. Le chef du gouvernement français parla alors d’humiliation infligée à la France. Pierre Mendès France décide alors de « sortir le cadavre du placard », et ouvre enfin le débat de ratification à l’Assemblée nationale, le 29 août 1954. Plusieurs commissions de l’Assemblée nationale avaient déjà émis des rapports défavorables au traité, l’armée française multiplie les échecs en Indochine : le président du Conseil se garde bien de jouer là l’avenir de son fragile gouvernement de coalition sur une proposition impopulaire et ne pose pas la question de confiance. Le gouvernement de Pierre Mendès France est lui-même divisé sur la question : trois ministres gaullistes, Jacques Chaban-Delmas, Maurice Lemaire et le général Kœnig, démissionnent pour ne pas voter le traité ; leur collègue Christian Fouchet évite de les suivre car il doit gérer la crise tunisienne mais les approuve. François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, bien que moins engagé pour l’armée européenne que René Pleven, son ancien chef de parti à l’UDSR, vote pour. Les autres ministres, généralement favorables au traité, votent pour tout en formulant des réserves sur les modifications que Pierre Mendès France voudrait y apporter

Le vote du 30 août 1954 écarte définitivement la CED sans débat de fond, puisque les anticédistes proposent le vote d’une question préalable, posée par le général Adolphe Aumeran36,37, adoptée par 319 voix contre 264. Parmi ces 319 voix, on comptabilise les députés communistes et gaullistes, une partie des socialistes (53 députés sur 105), la moitié aussi des radicaux (34 députés sur 67) ou de l’UDSR (10 députés sur 18), mais aussi 9 députés MRP ou apparentés. Ce rejet entraîne également l’échec du projet de communauté politique européenne, qui lui avait été associé. Les démocrates-chrétiens ne pardonnent pas à Pierre Mendès France, ce qu’ils appellent le « crime du 30 août ». Dès le lendemain du vote, la SFIO exclut trois parlementaires, qui ont voté la question préalable, Daniel Mayer, Jules Moch et Max Lejeune. André Monteil, Léo Hamon et Henri Bouret sont à leur tour exclus du MRP, le 2 septembre 1954, pour le même motif.»

Non au TCE

« En France, de nombreuses personnalités et organisations ont appelé à voter contre le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) lors du referendum de 2005.

Quelques exemples :

Partis politiques :

•             Parti communiste français (PCF)

•             Lutte ouvrière (LO)

•             Mouvement pour la France (MPF)

•             Parti socialiste (PS) : Le PS était divisé sur la question du TCE. La direction du parti, sous la houlette de François Hollande, était favorable au traité, tandis qu’une aile gauche, menée par Laurent Fabius, s’y opposait.

Syndicats :

•             Confédération générale du travail (CGT)

•             Force ouvrière (FO)

Mouvements sociaux :

•             Attac

•             Coordination nationale des comités anti-CPE (coordination, née de la contestation du Contrat première embauche)

Personnalités :

•             Jean-Pierre Chevènement

•             Olivier Besancenot

•             José Bové

Le TCE a finalement été rejeté par les Français lors du referendum du 29 mai 2005, avec 54,68% des voix contre.»

Wikipédia

État-nation, vraiment ?

« Il n’y a pas eu d’âge de l’État-nation dans l’histoire : à l’exception de la Finlande, l’empire s’acheva généralement tandis que commençait l’intégration, sans intervalle. Dans les cas incontournables de l’Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, des Pays-Bas, de l’Espagne et du Portugal, entre l’empire et l’intégration, la nation ne connut pas de moment où elle aurait été souveraine et où l’État se serait épanoui isolément. Certes, les citoyens de ces pays croient spontanément qu’ils ont une histoire en tant qu’État-nation ; mais après un temps de réflexion, ils se rendent compte que ce n’est pas exact. Comme l’enseignement de l’histoire en Europe est national, cette réflexion ne se produit pas habituellement. Manquant de formation sérieuse sur leur passé impérial et de connaissances comparatives qui leur auraient permis d’identifier des modèles, les Européens se sont contentés d’un mensonge. La fable de la nation sage, apprise dans l’enfance, rassurait les adultes en leur permettant d’oublier les vraies difficultés historiques. En reprenant cette fable, les dirigeants et les sociétés pouvaient se féliciter d’avoir choisi l’Europe, alors qu’en fait celle-ci était un besoin existentiel après l’empire. »

« Les crises postérieures aux Première et Seconde Guerres mondiales, lorsque l’État-nation s’est avéré intenable, ont été réinterprétées comme des moments uniques de victimisation nationale. Les jeunes d’Europe de l’Est n’ont pas appris à réfléchir aux raisons de la faillite étatique des années 1930 ou 1940. Ne se voyant qu’en victimes innocentes des Empires allemand et soviétique, ils célébrèrent le bref épisode que connurent les États-nations à l’Est dans l’entre-deux-guerres. Ils oublièrent que ces États étaient condamnés autant par malveillance que par leur structure : sans ordre européen, ils ne pouvaient guère survivre. L’UE n’a jamais cherché à établir un enseignement historique commun aux Européens, si bien que la fable de la nation sage rendait apparemment possible l’idée que les États-nations qui avaient choisi d’entrer dans l’Union pouvaient aussi choisir d’en sortir. Un retour à un passé rêvé pouvait même paraître envisageable, voire désirable. »

« Si l’Union européenne se désintègre, elle risque fort d’entraîner la désintégration des États qui la constituent »

Snyder, Timothy. La route pour la servitude

L’homme le plus heureux au monde

« L’Amérique. Un succès indéniable, donc, et sur lequel je pourrais aisément m’étendre. J’ai grandi dans un milieu familial où l’on vénérait les États-Unis, leurs campus universitaires, leur efficacité, leur créativité, leur étonnante capacité à accueillir et à intégrer, ainsi que leur système politique si ingénieux, si équilibré, qui a été un élément essentiel de leur réussite. Je continue à partager cet émerveillement, et aujourd’hui encore, je serais l’homme le plus heureux au monde si ma patrie adoptive, l’Europe, se décidait enfin, comme l’ont souhaité Victor Hugo, Stefan Zweig et tant d’autres, à bâtir ses propres « États unis », fédérés sur le modèle de l’Amérique. »

Maalouf, Amin. Le labyrinthe des égarés : L’Occident et ses adversaires

Un jour viendra

« Messieurs, beaucoup d’entre vous viennent des points du globe les plus éloignés, le cœur plein d’une pensée religieuse et sainte ; vous comptez dans vos rangs des publicistes, des philosophes, des ministres des cultes chrétiens, des écrivains éminents, plusieurs de ces hommes considérables, de ces hommes publics et populaires qui sont les lumières de leur nation. Vous avez voulu dater de Paris les déclarations de cette réunion d’esprits convaincus et graves, qui ne veulent pas seulement le bien d’un peuple, mais qui veulent le bien de tous les peuples.

Vous venez ajouter aux principes qui dirigent aujourd’hui les hommes d’état, les gouvernants, les législateurs, un principe supérieur. Vous venez tourner en quelque sorte le dernier et le plus auguste feuillet de l’Évangile, celui qui impose la paix aux enfants du même Dieu, et, dans cette ville qui n’a encore décrété que la fraternité des citoyens, vous venez proclamer la fraternité des hommes.

Soyez les bienvenus !

En présence d’une telle pensée et d’un tel acte, il ne peut y avoir place pour un remercîment personnel. Permettez-moi donc, dans les premières paroles que je prononce devant vous, d’élever mes regards plus haut que moi-même, et d’oublier, en quelque sorte, le grand honneur que vous venez de me conférer, pour ne songer qu’à la grande chose que vous voulez faire.

Messieurs, cette pensée religieuse, la paix universelle, toutes les nations liées entre elles d’un lien commun, l’Évangile pour loi suprême, la médiation substituée à la guerre, cette pensée religieuse est-elle une pensée pratique ? cette idée sainte est-elle une idée réalisable ? Beaucoup d’esprits positifs, comme on parle aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques vieillis, comme on dit, dans le maniement des affaires, répondent : Non. Moi, je réponds avec vous, je réponds sans hésiter, je réponds : Oui ! et je vais essayer de le prouver tout à l’heure.

Je vais plus loin ; je ne dis pas seulement : C’est un but réalisable, je dis : C’est un but inévitable ; on peut en retarder ou en hâter l’avènement, voilà tout.

La loi du monde n’est pas et ne peut pas être distincte de la loi de Dieu. Or, la loi de Dieu, ce n’est pas la guerre, c’est la paix. Les hommes ont commencé par la lutte, comme la création par le chaos. D’où viennent-ils ? De la guerre ; cela est évident. Mais où vont-ils ? A la paix ; cela n’est pas moins évident.

Quand vous affirmez ces hautes vérités, il est tout simple que votre affirmation rencontre la négation ; il est tout simple que votre foi rencontre l’incrédulité ; il est tout simple que, dans cette heure de nos troubles et de nos déchirements, l’idée de la paix universelle surprenne et choque presque comme l’apparition de l’impossible et de l’idéal ; il est tout simple que l’on crie à l’utopie ; et, quant à moi, humble et obscur ouvrier dans cette grande œuvre du dix-neuvième siècle, j’accepte cette résistance des esprits sans qu’elle m’étonne ni me décourage. Est-il possible que vous ne fassiez pas détourner les têtes et fermer les yeux dans une sorte d’éblouissement, quand, au milieu des ténèbres qui pèsent encore sur nous, vous ouvrez brusquement la porte rayonnante de l’avenir ?

Messieurs, si quelqu’un, il y a quatre siècles, à l’époque où la guerre existait de commune à commune, de ville à ville, de province à province, si quelqu’un eût dit à la Lorraine, à la Picardie, à la Normandie, à la Bretagne, à l’Auvergne, à la Provence, au Dauphiné, à la Bourgogne : Un jour viendra où vous ne vous ferez plus la guerre, un jour viendra où vous ne lèverez plus d’hommes d’armes les uns contre les autres, un jour viendra où l’on ne dira plus : Les Normands ont attaqué les Picards, les Lorrains ont repoussé les Bourguignons. Vous aurez bien encore des différends à régler, des intérêts à débattre, des contestations à résoudre, mais savez-vous ce que vous mettrez à la place des hommes d’armes ? Savez-vous ce que vous mettrez à la place des gens de pied et de cheval, des canons, des fauconneaux, des lances, des piques, des épées ? Vous mettrez une petite boîte de sapin que vous appellerez l’urne du scrutin, et de cette boîte il sortira, quoi ? une assemblée en laquelle vous vous sentirez tous vivre, une assemblée qui sera comme votre âme à tous, un concile souverain et populaire qui décidera, qui jugera, qui résoudra tout en loi, qui fera tomber le glaive de toutes les mains et surgir la justice dans tous les cœurs, qui dira à chacun : Là finit ton droit, ici commence ton devoir. Bas les armes ! Vivez en paix !

Et ce jour-là, vous vous sentirez une pensée commune, des intérêts communs, une destinée commune ; vous vous embrasserez, vous vous reconnaîtrez fils du même sang et de la même race ; ce jour-là, vous ne serez plus des peuplades ennemies, vous serez un peuple ; vous ne serez plus la Bourgogne, la Normandie, la Bretagne, la Provence, vous serez la France. Vous ne vous appellerez plus la guerre, vous vous appellerez la civilisation !

Si quelqu’un eût dit cela à cette époque, messieurs, tous les hommes positifs, tous les gens sérieux, tous les grands politiques d’alors se fussent écriés : « Oh ! le songeur ! Oh ! le rêve-creux ! Comme cet homme connaît peu l’humanité ! Que voilà une étrange folie et une absurde chimère ! » – Messieurs, le temps a marché, et cette chimère, c’est la réalité.

Et, j’insiste sur ceci, l’homme qui eût fait cette prophétie sublime eût été déclaré fou par les sages, pour avoir entrevu les desseins de Dieu !

Eh bien ! vous dites aujourd’hui, et je suis de ceux qui disent avec vous, tous, nous qui sommes ici, nous disons à la France, à l’Angleterre, à la Prusse, à l’Autriche, à l’Espagne, à l’Italie, à la Russie, nous leur disons :

Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. – Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand Sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la Diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France !

Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! Un jour viendra où l’on verra ces deux groupes immenses, les États-Unis d’Amérique, les États-Unis d’Europe, placés en face l’un de l’autre, se tendant la main par-dessus les mers, échangeant leurs produits, leur commerce, leur industrie, leurs arts, leurs génies, défrichant le globe, colonisant les déserts, améliorant la création sous le regard du Créateur, et combinant ensemble, pour en tirer le bien-être de tous, ces deux forces infinies, la fraternité des hommes et la puissance de Dieu !

Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle.

Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer.

Nous aimer ! Dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aider Dieu !

Car Dieu le veut, ce but sublime ! Et voyez, pour y atteindre, ce qu’il fait de toutes parts ! Voyez que de découvertes il fait sortir du génie humain, qui toutes vont à ce but, la paix ! Que de progrès, que de simplifications ! Comme la nature se laisse de plus en plus dompter par l’homme ! comme la matière devient de plus en plus l’esclave de l’intelligence et la servante de la civilisation ! comme les causes de guerre s’évanouissent avec les causes de souffrance ! comme les peuples lointains se touchent ! comme les distances se rapprochent ! et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité !

Grâce aux chemins de fer, l’Europe bientôt ne sera pas plus grande que ne l’était la France au moyen âge ! Grâce aux navires à vapeur, on traverse aujourd’hui l’Océan plus aisément qu’on ne traversait autrefois la Méditerranée ! Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde.

Ici, messieurs, quand j’approfondis ce vaste ensemble, ce vaste concours d’efforts et d’événements, tous marqués du doigt de Dieu ; quand je songe à ce but magnifique, le bien-être des hommes, la paix : quand je considère ce que la Providence fait pour et ce que la politique fait contre, une réflexion douloureuse s’offre à mon esprit.

Il résulte des statistiques et des budgets comparés que les nations européennes dépensent tous les ans, pour l’entretien de leurs armées, une somme qui n’est pas moindre de deux milliards, et qui, si l’on y ajoute l’entretien du matériel des établissements de guerre, s’élève à trois milliards. Ajoutez-y encore le produit perdu des journées de travail de plus de deux millions d’hommes, les plus sains, les plus vigoureux, les plus jeunes, l’élite des populations, produit que vous ne pouvez pas évaluer à moins d’un milliard, et vous arrivez à ceci que les armées permanentes coûtent annuellement à l’Europe quatre milliards. Messieurs, la paix vient de durer trente-deux ans, et en trente-deux ans la somme monstrueuse de cent vingt-huit milliards a été dépensée pendant la paix pour la guerre !

Supposez que les peuples d’Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés : supposez qu’ils se fussent dit qu’avant même d’être Français, ou Anglais, ou Allemand, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l’humanité est une famille ; et maintenant, cette somme de cent vingt-huit milliards, si follement et si vainement dépensée par la défiance, faites-la dépenser par la confiance ! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la haine, donnez-les à l’harmonie ! Ces cent vingt-huit milliards donnés à la guerre, donnez-les à la paix !

Donnez-les au travail, à l’intelligence, à l’industrie, au commerce, à la navigation, à l’agriculture, aux sciences, aux arts, et représentez-vous le résultat. Si, depuis trente-deux ans, cette gigantesque somme de cent vingt-huit milliards avait été dépensée de cette façon, l’Amérique, de son côté, aidant l’Europe, savez-vous ce qui serait arrivé ? La face du monde serait changée ! les isthmes seraient coupés, les fleuves creusés, les montagnes percées, les chemins de fer couvriraient les deux continents, la marine marchande du globe aurait centuplé, et il n’y aurait plus nulle part ni landes, ni jachères, ni marais ; on bâtirait des villes là où il n’y a encore que des écueils ; l’Asie serait rendue à la civilisation, l’Afrique serait rendue à l’homme ; la richesse jaillirait de toutes parts de toutes les veines du globe sous le travail de tous les hommes, et la misère s’évanouirait ! Et savez-vous ce qui s’évanouirait avec la misère ? Les révolutions. Oui, la face du monde serait changée ! Au lieu de se déchirer entre soi, on se répandrait pacifiquement sur l’univers ! Au lieu de faire des révolutions, on ferait des colonies ! Au lieu d’apporter la barbarie à la civilisation, on apporterait la civilisation à la barbarie !

Voyez, messieurs, dans quel aveuglement la préoccupation de la guerre jette les nations et les gouvernants : si les cent vingt-huit milliards qui ont été donnés par l’Europe depuis trente-deux ans à la guerre qui n’existait pas, avaient été donnés à la paix qui existait, disons-le, et disons-le bien haut, on n’aurait rien vu en Europe de ce qu’on y voit en ce moment ; le continent, au lieu d’être un champ de bataille, serait un atelier, et, au lieu de ce spectacle douloureux et terrible, le Piémont abattu, Rome, la ville éternelle, livrée aux oscillations misérables de la politique humaine, la Hongrie et Venise qui se débattent héroïquement, la France inquiète, appauvrie et sombre ; la misère, le deuil, la guerre civile, l’obscurité sur l’avenir ; au lieu de ce spectacle sinistre, nous aurions sous les yeux l’espérance, la joie, la bienveillance, l’effort de tous vers le bien-être commun, et nous verrions partout se dégager de la civilisation en travail le majestueux rayonnement de la concorde universelle.

Chose digne de méditation ! ce sont nos précautions contre la guerre qui ont amené les révolutions ! On a tout fait, on a tout dépensé contre le péril imaginaire ! On a aggravé ainsi la misère, qui était le péril réel ! On s’est fortifié contre un danger chimérique ; on a vu les guerres qui ne venaient pas, et l’on n’a pas vu les révolutions qui arrivaient.

Messieurs, ne désespérons pas pourtant. Au contraire, espérons plus que jamais ! Ne nous laissons pas effrayer par des commotions momentanées, secousses nécessaires peut-être des grands enfantements. Ne soyons pas injustes pour les temps où nous vivons, ne voyons pas notre époque autrement qu’elle n’est. C’est une prodigieuse et admirable époque après tout, et le dix-neuvième siècle sera, disons-le hautement, la plus grange page de l’histoire. Comme je vous le rappelais tout à l’heure, tous les progrès s’y révèlent et s’y manifestent à la fois, les uns amenant les autres : chute des animosités internationales, effacement des frontières sur la carte et des préjugés dans les cœurs, tendance à l’unité, adoucissement des mœurs, élévation du niveau de l’enseignement et abaissement du niveau des pénalités, domination des langues les plus littéraires, c’est-à-dire les plus humaines ; tout se meut en même temps, économie politique, science, industrie, philosophie, législation, et converge au même but, la création du bien-être et de la bienveillance, c’est-à-dire, et c’est là pour ma part le but auquel je tendrai toujours, extinction de la misère au dedans, extinction de la guerre au dehors.

Oui, je le dis en terminant, l’ère des révolutions se ferme, l’ère des améliorations commence. Le perfectionnement des peuples quitte la forme violente pour prendre la forme paisible ; le temps est venu où la Providence va substituer à l’action désordonnée des agitateurs l’action religieuse et calme des pacificateurs.

Désormais, le but de la politique grande, de la politique vraie, le voici : faire reconnaître toutes les nationalités, restaurer l’unité historique des peuples et rallier cette unité à la civilisation par la paix, élargir sans cesse le groupe civilisé, donner le bon exemple aux peuples encore barbares, substituer les arbitrages aux batailles ; enfin, et ceci résume tout, faire prononcer par la justice le dernier mot que l’ancien monde faisait prononcer par la force.

Messieurs, je le dis en terminant, et que cette pensée nous encourage, ce n’est pas d’aujourd’hui que le genre humain est en marche dans cette voie providentielle. Dans notre vieille Europe, l’Angleterre a fait le premier pas, et par son exemple séculaire elle a dit aux peuples : Vous êtes libres. La France a fait le second pas, et elle a dit aux peuples : Vous êtes souverains. Maintenant faisons le troisième pas, et tous ensemble, France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie, Europe, Amérique, disons aux peuples : Vous êtes frères ! »

Victor Hugo au Congrès de la Paix, 21 août 1849 

Tous à Bruxelles !

La France, en voulant garder quelques sessions du Parlement européen à Strasbourg, complique la vie des eurodéputés et impose d’invraisemblables dépenses alors que son rayonnement comme ses finances seraient bien mieux servis si elle obtenait à la place, dans ces mêmes bâtiments qui pourraient être aisément reconvertis et agrandis, l’installation de la future Défense commune et de ces campus pan-européens d’excellence dont nous n’avons toujours pas su nous doter.

Nous obtiendrions d’heureux avantages de nos partenaires en échange de cette intelligente renonciation.

À la frontière franco-allemande, nous pourrions faire de l’Alsace et de sa capitale le cœur de l’Europe politique à venir, de sa Défense, de sa Recherche et de la formation de ses fonctionnaires et de ses meilleurs universitaires : notre Ivy League et notre Pentagone à la fois, peut-être aussi notre Langley. Pour Strasbourg, pour l’Alsace, pour la France, ce serait tout autre chose qu’une session mensuelle et nous n’aurions, pour cela, qu’à consacrer une ville non pas française mais francophone, Bruxelles, comme capitale de l’Union.

D’après, « La nation européenne », Bernard Guetta

Exister, ou pas

18 juillet 2023 : Le rôle de l’UE dans le monde augmente progressivement, mais il n’est pas à la mesure de sa population et sa puissance économique, a déclaré le ministre tchèque des affaires européennes, Martin Dvořák.
L’Europe ne deviendra un acteur au format mondial que lorsqu’elle deviendra une fédération.

Je pense qu’une Fédération européenne ou des États-Unis d’Europe installerait l’Europe dans une position où nous serions un partenaire égal dans le jeu entre la Chine, l’Amérique ou la Russie et l’Inde.
https://www.euractiv.com/section/politics/news/czech-eu-minister-making-europe-a-federation-will-make-it-an-equal-global-player

Paneuropéen

« Le comte Richard Coudenhove-Kalergi entendait déchirer le traité de Versailles, qui avait accablé l’Allemagne et l’Autriche de dettes impossibles à solder. Il souhaitait le remplacer par un accord par lequel les pays d’Europe s’engageraient, noir sur blanc, à ne plus se faire la guerre. Ils formeraient une union douanière et un marché intérieur, et utiliseraient la même monnaie. Une armée et une flotte européennes verraient le jour. Les frontières intérieures disparaîtraient, les frontières extérieures seraient surveillées collectivement. Coudenhove voulait aussi une constitution protégeant les droits des minorités, garantissant le droit à l’éducation pour tous les enfants, et punissant toute forme de haine et de propagande. »

Caroline De Gruyter, Monde d’hier, monde de demain